Pour souligner la semaine de la santé mentale, Boscoville s’entretient avec Frédéric N-Brière, professeur adjoint à l’École de psychoéducation de l’Université de Montréal, chercheur associé à Boscoville et collaborateur à l’évaluation et au développement du programme Blues, qui vise à prévenir la dépression chez les jeunes.

De quelle façon la dépression chez l’adolescent diffère-t-elle de la dépression chez l’adulte?

Au cours du 20e siècle et pendant de nombreuses années, plusieurs personnes croyaient que la dépression n’existait pas vraiment chez les enfants et les adolescents. Les premières recherches qui ont été produites sur le sujet assumaient d’ailleurs que la dépression prenait une forme très différente chez les jeunes comparativement aux adultes.

Par contre, avec le temps, des études ont démontré l’inverse; il y a plus de similitudes que de différences entre la dépression chez les jeunes et la dépression chez les adultes. En fait selon le Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM 5), utilisé actuellement pour diagnostiquer la dépression, les symptômes sont relativement identiques. La différence la plus importante est que l’un des critères centraux de la dépression – le fait d’avoir une humeur triste, déprimée, et pendant une longue période de temps d’au moins deux semaines – va être remplacé chez les adolescents par une humeur qui est plus irritable, comme le fait d’être de mauvaise humeur ou bougon, pendant une longue période de temps.

Au-delà des symptômes, il y a certaines caractéristiques qui peuvent varier. Par exemple chez les adolescents, on tend à retrouver davantage d’autres problématiques liées à la dépression que chez les adultes, comme des problèmes de consommation ou de comportement ainsi que des difficultés sociales.

Comment reconnaître la dépression chez l’adolescent?

Quand pouvons-nous vraiment parler de dépression? Peut-elle être confondue avec une crise d’adolescence? Plusieurs personnes se posent ces questions. Il existe 3 principaux critères pour reconnaître la dépression:

1- La durée. Pour que l’on puisse parler de dépression, il faut que les symptômes durent pendant une bonne période de temps, c’est-à-dire au moins 2 semaines, et qu’ils soient aussi présents la majorité du temps, autrement dit presque toute la journée.
2- La sévérité. La dépression n’est pas seulement liée à des symptômes émotifs comme la tristesse et l’irritabilité, mais aussi à des symptômes au niveau physique, comme des changements au niveau de l’appétit ou du sommeil. Elle est aussi liée à des symptômes au niveau de la pensée, comme le fait d’avoir une culpabilité qui est inappropriée, ou la présence d’idéation suicidaire.
3- Un impact significatif sur la vie du jeune. Un épisode dépressif est lié à une rupture de fonctionnement au niveau scolaire et relationnel. Autrement dit, ce sont toutes les sphères de la vie du jeune qui sont atteintes, qu’il s’agisse des relations avec ses pairs, de la relation avec sa famille, de sa santé physique et de son fonctionnement à l’école, entre autres.

Quelles sont les conséquences de la dépression chez les jeunes?

La recherche montre que les adolescents qui vivent un épisode de dépression rencontrent une multitude de difficultés qui peuvent persister jusqu’à l’âge adulte, que ce soit au niveau de la capacité à maintenir un emploi, ou encore au niveau de la santé ou des relations. Chez les adolescents, la dépression est un facteur de risque important de difficultés scolaires, incluant le décrochage. C’est une des raisons pour lesquelles il peut être bénéfique d’intervenir dans les écoles!

Est-ce qu’un jeune qui souffre de dépression est plus à risque d’en souffrir à nouveau une fois adulte?

Il est important de savoir que la dépression est rarement un phénomène qui est chronique, c’est-à-dire qui va persister pendant des années. La dépression se présente par épisodes, qui sont très souvent récurrents. Cela signifie qu’un jeune qui vit un épisode de dépression sera à risque de vivre d’autres épisodes dans le futur et éventuellement, d’accumuler des problèmes qui vont être de plus en plus importants dans sa vie. Ce que l’on souhaite faire en intervenant tôt, c’est de briser cette chaine développementale de problèmes qui s’accumulent dans le temps et qui peuvent demeurer jusqu’à l’âge adulte.

Malgré une sensibilisation qui s’est accentuée au cours des dernières années au sujet de la santé mentale, existe-t-il encore de grands mythes sur la dépression?

Absolument, plusieurs préjugés persistent encore aujourd’hui sur la dépression. Nous entendons parfois :

  • « La dépression n’existe pas réellement »,
  • « la dépression est une excuse pour ne pas faire certaines choses »,
  • « la dépression est une paresse »,
  • « la dépression n’est qu’une stratégie pour obtenir de l’attention »,
  • « les jeunes qui sont dépressifs peuvent être plus dangereux ou antisociaux ».

Ce sont des mythes dont il faut absolument se défaire, parce qu’ils alimentent la stigmatisation et la minimisation des symptômes. Les jeunes qui sont atteints de dépression souffrent à un point tel qu’ils peinent à fonctionner dans les moindres petites sphères de leur vie quotidienne. La dernière chose dont ils ont besoin est de vivre de la stigmatisation ou de se faire dire qu’ils devraient « se forcer », d’autant que la dépression représente un facteur de risque important des comportements suicidaires. Les mythes et préjugés qui existent par rapport à la dépression demeurent une préoccupation majeure, malgré les campagnes de sensibilisation qui ont été lancées dans les dernières années.

Le programme Blues marque le début de votre collaboration avec Boscoville. Qu’est-ce que Blues et quels sont ses objectifs?

Lorsque j’ai commencé à travailler avec Boscoville, la santé mentale était une préoccupation partagée par différents milieux, dont les centres jeunesse, les écoles et les organismes communautaires. Nous cherchions des solutions pour faire face aux difficultés rencontrées par les jeunes et c’est dans ce contexte que je me suis intéressé au programme Blues, un programme de prévention de la dépression en milieu scolaire dont l’efficacité était démontrée aux États-Unis. J’ai collaboré à la validation du programme, ici, au Québec, ce qui a été réalisé de manière rigoureuse.

Le programme Blues cible spécifiquement des jeunes qui ont des symptômes élevés, considérés à risque, mais qui ne sont pas cliniquement diagnostiqués comme étant en dépression. Le but du programme est de réduire les symptômes dépressifs et de les empêcher d’atteindre un niveau majeur.

Le programme a 2 composantes principales :

  • des ateliers de groupe offert à l’école par des intervenants, ce qui représente 6 séances d’une heure à raison d’une fois par semaine où l’on apprend entre autres à modifier ses pensées et ses actions pour mieux gérer ses difficultés.
  • un site internet qu’on a développé et qui permet aux jeunes de mettre en pratique, de manière individuelle, les apprentissages qu’ils font pendant les ateliers de groupes.

Pourquoi considérez-vous que l’intervention de groupe est pertinente?

L’intervention de groupe permet de rejoindre un plus grand nombre de jeunes. Elle réduit ainsi la nécessité d’un suivi intensif et individualisé, ce qui est important pour les milieux qui ont relativement peu de ressources. Par ailleurs, lorsque l’on demande aux jeunes qui ont participé au programme ce qu’ils ont le plus apprécié et ce qui les a aidés à changer, ils vont rarement faire référence aux techniques ou stratégies qu’on leur apprend dans le programme. Habituellement, ils répondent que ce qu’ils ont préféré, c’est le groupe, le fait de se retrouver avec d’autres jeunes, de se sentir normalisé, de ressentir leur soutien, de voir qu’ils ne sont pas les seuls à vivre ce type de difficultés.

Quels sont les autres éléments qui différencie le programme Blues des autres programmes de prévention de la dépression?

Mis à part le fait qu’il est, à ma connaissance, le seul programme validé pour contrer la dépression chez le jeune, l’un des principaux avantages du programme est qu’il est relativement bref et rapide. Il fonctionne bien à l’intérieur de six semaines d’intervention et il est aussi efficace qu’un programme qui dure plusieurs mois. Il s’agit là d’un atout majeur, compte tenu des ressources disponibles dans les écoles, et de la nécessité d’intervenir sur de multiples choses.

L’idée d’un programme qui combine les ateliers de groupe et le web comme le fait BLUES me semble assez distinctive et intéressante. Ce qu’on retrouve actuellement dans la littérature, ce sont soit des interventions faites entièrement en personne ou entièrement sur le web. Les interventions qui se déroulent entièrement sur le web peuvent bien fonctionner à mon avis, mais l’engagement des participants demeure un défi. Notre objectif pour le futur est de développer davantage et bonifier cette modalité web pour faciliter l’utilisation des exercices par les jeunes. On souhaite qu’ils continuent à mettre en pratique les apprentissages qu’ils font dans les groupes, même après les ateliers.

De quelle façon la collaboration avec Boscoville a facilité la mise en oeuvre du programme Blues ?

En tant que chercheur, je souhaite autant que possible que les interventions que je développe pour les jeunes soient utilisées dans la pratique, mais ce n’est pas simple en soi; les gens des milieux ne peuvent pas facilement utiliser les interventions qui viennent de la recherche s’ils ne sont pas accompagnés adéquatement pour le faire. C’est à ce niveau que le partenariat avec Boscoville est extrêmement aidant pour moi, puisqu’il joue un rôle de transmission et qu’ils aident les milieux à mettre en place les programmes qui sont validés du côté de la recherche. Il s’agit là d’une étape que je ne pourrais pas faire en tant que chercheur, n’ayant pas les ressources ni le temps nécessaire.

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