La proportion d’adolescents de 12 à 17 ans qui consomme de l’alcool et de la drogue a diminué au Québec depuis le début des années 2000 (Traoré et al., 2021). Cette diminution pourrait être due à certaines interventions préventives universelles mises en place au cours des dernières années.
Ces interventions universelles se situent souvent en amont de la consommation où l’on vise à empêcher, éliminer, réduire ou retarder l’usage (United Nations Office on Drugs and Crime, 2015). Malgré que ce type d’interventions soit efficace auprès des jeunes en général, elles sont susceptibles de délaisser les jeunes qui ont déjà développé une consommation à risque et qui sont peu motivés à en réduire leur usage.
Les données de la plus récente enquête de l’Institut de la statistique du Québec (Traoré et al., 2021) indiquent qu’un élève du secondaire sur 10 consomme de l’alcool de manière excessive et répétitive et que 4,5 % consomment du cannabis de façon régulière.
Pour ces jeunes dont la consommation est plus à risque ou régulière, des mesures de prévention plus ciblées peuvent s’avérer efficaces (Bourdillon et al., 2011 ; Laventure et al., 2010). Le programme Groupe de réflexion sur les drogues (GRD, Durocher et al., 2019) propose une intervention pour répondre aux
besoins spécifiques de ces jeunes.
Historique du développement du programme
Au tournant des années 2000, le Centre jeunesse de Montréal-Institut universitaire (CJM-IU) ainsi que différents partenaires ont développé la première version du GRD afin de combler les lacunes observées dans leurs services destinés aux jeunes consommateurs à risque (Durocher
et al., 2005).
En 2013, le CJM-IU devenu le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de- L’Île-de-Montréal (CCSMTL), Boscoville et l’Université de Montréal ont amorcé un partenariat afin d’évaluer, de bonifier et de mettre à jour le programme. Les travaux de ce partenariat ont conduit à une deuxième version du GRD pour pallier les lacunes observées dans la version précédente (Fallu et al., 2017 ; Fallu et al.,2021 ; Jean, 2012 ; Langelier-Cullen, 2018).
D’abord, ce programme a d’abord été offert en centre de réadaptation pour les jeunes en difficulté d’adaptation. Devant l’intérêt croissant de la part des milieux scolaires pour cette nouvelle version du programme, il a été décidé en 2020 d’en vérifier l’efficacité dans ce nouveau contexte.
Le programme a ainsi été expérimenté et évalué en milieu scolaire en partenariat avec le Centre intégré de santé et de services sociaux des Laurentides et l’Université de Sherbrooke.
Programme en bref
Le GRD 2e édition (Durocher et al., 2019) est un programme de prévention ciblée conçu pour les jeunes de 14 à 17 ans présentant une consommation problématique ou à risque de le devenir. Le programme propose une intervention de groupe où six à huit jeunes se rencontrent une heure pendant neuf semaines consécutives.
Animé par des intervenants (un ou deux), chacun des neuf ateliers propose des activités et des modalités d’apprentissages variées et interactives : discussions, jeux de rôles, jeux-questionnaires, vidéo, etc.
La sélection des participants est réalisée à l’aide de la grille de dépistage de consommation problématique d’alcool et de drogues chez les adolescents et les adolescentes, la DEP-ADO (Germain et al., 2016).
Le GRD s’adresse spécifiquement aux « feux jaunes » (problème en émergence), mais peut aussi être utilisé auprès de « feux rouges » (consommation problématique) qui ne sont pas motivés à aller chercher des services d’aides spécialisés.
Le programme s’inspire des approches de réduction des méfaits, motivationnelle et cognitivo-comportementale. Il mise sur la réflexion et l’acquisition de différentes stratégies de réduction des méfaits associées à la consommation des substances psychoactives.
Plus spécifiquement, il vise d’abord à susciter une réflexion chez les personnes participantes sur leurs habitudes de consommation afin qu’elles puissent en réduire les risques et les conséquences.
Ensuite, le programme vise à les amener à se responsabiliser en acquérant des habiletés prosociales et enfin, à favoriser la motivation à aller chercher de l’aide auprès des services spécialisés en toxicomanie pour celles et ceux qui en ont besoin (Durocher et al., 2019).
En parallèle aux activités de groupe, le programme prévoit l’animation d’activités individuelles entre chaque séance afin de clarifier certains concepts, d’approfondir les réflexions, de répondre aux questions ou encore de remédier aux absences des participantes et participants.
Démarche proposée par le GRD
Les ateliers du GRD ont été développés pour accompagner un groupe d’adolescents à travers une démarche vers le changement, tout en respectant leur rythme. Le processus vise à favoriser l’adhésion des jeunes à la démarche, à les faire réfléchir sur la consommation en général pour finalement aborder leurs propres habitudes (voir Figure 1).
Le but des premiers ateliers consiste à permettre aux jeunes de prendre du recul par rapport à ce qu’elles et qu’ils font et pensent savoir, tout en leur permettant d’acquérir de nouvelles connaissances. La consommation personnelle des jeunes n’est pas abordée directement avant le 5e atelier. Les jeunes sont néanmoins incités à travers les discussions à faire certains parallèles avec leur situation.
Lors du premier atelier, la démarche et ses approches sont présentées aux jeunes afin de favoriser leur adhésion et leur pleine participation. Il est signalé que les activités ont été conçues pour stimuler les échanges et réfléchir ensemble sur la base d’une information juste et fiable.
Les ateliers deux à quatre abordent le phénomène de la consommation de façon globale. Chacun des facteurs de la loi de l’effet, soit la substance, l’individu et le contexte, est abordé en termes de facteurs de risque et de protection.
Dans l’atelier cinq, il est question du développement de la dépendance et les jeunes sont invités à réfléchir aux avantages et inconvénients de leurs propres habitudes de consommation.
La 6e rencontre marque un tournant puisque les ateliers subséquents se centrent davantage sur le vécu personnel de chacun des jeunes. Ces derniers sont invités à évaluer leurs propres habitudes de consommation, les motifs qui sont sous-jacents ainsi que les avantages et inconvénients y étant associés.
Il est considéré qu’à ce moment de la démarche, les jeunes ont les acquis nécessaires pour préparer un changement de leurs habitudes.
Les ateliers sept et huit abordent les alternatives à la consommation et la satisfaction qu’ont les jeunes à l’égard de diverses sphères de leur vie (famille, amie ou ami, travail).
Ces deux ateliers leur permettent d’identifier des cibles de changement potentielles, motivantes et accessibles qui pourraient contribuer à l’amélioration de leur bien-être.
La démarche culmine à l’atelier neuf avec une célébration et une activité où les jeunes sont invités à commenter leur démarche personnelle vécue à travers le programme.
Afin de soutenir les démarches de changement actuelles ou futures, une présentation des ressources d’aide spécialisées de leur région leur est offerte, dans le but de démystifier le recours à ce type de service.
Effets généraux et recommandations
Le programme GRD a fait l’objet d’une évaluation des effets en milieu scolaire en 2020. La méthode consistait en un devis mixte avec groupe contrôle. Les résultats ont démontré des effets intéressants, malgré certaines limitations inhérentes aux caractéristiques de l’étude comme sa durée et le nombre de participants (Laventure, 2022).
Un simple aperçu des résultats sera fourni ici puisque l’analyse complète de cette évaluation a été soumise dans une autre publication (Laventure, Lemieux et Milord-Nadon, soumis).
Effets sur la consommation et les facteurs associés
La modification de la consommation est un effet qui s’observe normalement à moyen et long terme. Le GRD vise plutôt à diminuer la prise de risques qui y est associée, ce qui pourrait expliquer qu’une diminution immédiate de la consommation n’ait pas été observée (Laventure et al.,
soumis).
Des effets positifs sur d’autres variables clés chez les personnes participantes ont tout de même été rapportés notamment l’augmentation de l’adoption de stratégies productives et de la motivation au changement.
En effet, 40 % des participantes et participants ont décidé de poursuivre des démarches auprès de services spécialisés en dépendance à la suite de leur participation au GRD (Laventure et al., soumis).
Effets sur l’alliance thérapeutique
L’évaluation du GRD en milieu scolaire a permis d’observer qu’une meilleure alliance thérapeutique entre les jeunes et l’animateur contribuait à une augmentation de l’adoption de stratégies d’adaptation productives.
Par ailleurs, les jeunes qui ont abandonné en cours de programme rapportaient une plus faible alliance thérapeutique avec les animateurs (Laventure et al., soumis).
Il est primordial pour les animateurs d’accorder une attention particulière à la création d’une relation de confiance auprès de chacune et chacun des participants du programme et d’offrir écoute et soutien, surtout auprès des moins motivés.
Pour ce faire, il est pertinent de maintenir les deux types de rencontres du GRD, soit les rencontres de groupe et individuelles, car ces dernières permettent aux animateurs de faire le point avec les jeunes qui en ont le plus besoin.
Importance de l’exposition
Il est également important d’exposer les participants à un maximum d’ateliers, puisque cette variable semble contribuer à l’augmentation de la motivation au changement (Laventure et al., soumis).
Comme les absences des jeunes ne peuvent pas être prévues, il est recommandé de ne
pas débuter l’animation du programme lors des périodes de transitions scolaires, soit en début d’année ou lors des périodes d’examens, mais aussi de planifier le moment (jour et heure) qui maximisera la participation des jeunes.
Les animateurs, qui travaillent en milieu scolaire ou non, devraient, autant que possible, impliquer l’ensemble de l’équipe-école afin de faciliter la mise en place du programme dans l’école et encourager la participation des élèves à celui-ci.
Le but étant que les objectifs du programme et ses approches soient connus et compris de toutes et tous pour qu’il y ait une cohérence dans les interventions auprès des élèves.
Utilisation en milieu scolaire
Enfin, cette évaluation a également permis de faire certains constats quant à l’utilisation du GRD en milieu scolaire. D’abord, bien que le programme puisse convenir à différents profils de jeunes, il importe de constituer des groupes homogènes en termes d’âge et de niveau de consommation.
Il est suggéré d’éviter de s’adresser à des jeunes dont la consommation est chronique ou trop sévère (feu rouge) pour qui les programmes de réadaptation conviendraient mieux (Laventure et al., soumis). Ces recommandations visent à éviter de possibles effets de contamination entre les jeunes (Laventure et al., 2010).
Dans le cas du GRD, il est important de rappeler l’importance des activités de dépistage dans le processus de création des groupes.
Les animateurs vigilants gagneront probablement à débuter différents groupes en fonction des résultats du dépistage et à regrouper les jeunes au profil similaire (en termes d’âge et de niveau de consommation) entre elles et eux.
Conclusion
Les différentes expérimentations du programme au cours des dernières années permettent de croire que ce programme est prometteur auprès des jeunes consommateurs à risque (Fallu et al., 2021 ; Laventure, 2022). Le GRD semble être un programme pertinent en milieu scolaire pour répondre aux besoins d’intervention des jeunes avec une consommation problématique ou à risque de le devenir.
Bien que des recherches supplémentaires soient nécessaires afin de mieux comprendre ses effets à plus long terme, les données actuelles offrent des raisons d’être optimiste quant à son efficacité.
Ce genre de programme semble également positif puisqu’il peut permettre de faire le pont vers des services spécialisés. Le GRD aurait donc tout intérêt à trouver sa place à l’intérieur de l’offre de service en prévention des dépendances au Québec, une place qui permettrait une action concertée des milieux scolaires, communautaires, de première ligne et de réadaptation.
Arnaud Milord-Nadon et Audrey Veilleux
Arnaud Milord-Nadon : psychoéducateur, agent de développement à Boscoville
Audrey Veilleux : psychoéducatrice, agente de déploiement à Boscoville
Mots-clés : adolescence, alcool, consommation, centres de réadaptation, drogues, groupe de réflexion, intervention ciblée, prévention, réduction des méfaits, scolaire.
Références :
Bourdillon, F., Lenoble, É., Giampino, S. et Suesser, P. (2011). Prévention et santé mentale de l’enfant : les questions éthiques soulevées par des approches ciblées. Santé Publique, 23(6), 181-188. https://doi.org/10.3917/spub.110.0181
Durocher, L., Fallu, J.-S., Lemieux, M., Milord-Nadon, A. et Desormeaux, R. (2019). Guide d’animation du Groupe de réflexion sur les drogues (2e éd.). Boscoville et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-l’Île de Montréal.
Durocher, L., Pelletier, S. et Trudeau-LeBlanc, P. (2005). Groupe de réflexion sur les drogues : guide d’animation. Centre jeunesse de Montréal – Institut universitaire.
Fallu, J.-S., Durocher, L., Brière, F.-N., Langelier-Cullen, E., Pelletier, S., Lortie, V., Maguire-L., J., Normandin, G., Prémont, J. et Couture, S. (2017). Le Groupe de réflexion sur les drogues, 2e génération : un programme de prévention ciblée sélective et indiquée de la consommation problématique chez les adolescents en difficulté. Dans M. Laventure, N. Brunelle, K. Bertrand et M. Garneau (dir.), Adolescents dépendants ou à risque de le devenir. Pratiques d’intervention prometteuses (p. 159-180). Presses de l’Université Laval.
Fallu, J.-S., Ferguson, Y., D’Arcy Dubois, L., Benhadj, L. et Brière, F.N. (2021). Recension des écrits sur les pratiques de prévention ciblée de la consommation problématique de substances psychoactives chez les jeunes en difficulté hébergés en institution. Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux du Centre-Sud-de-L’Île-de-Montréal, Direction de l’enseignement universitaire et de la recherche et Institut universitaire sur les dépendances.
Germain, M., Guyon, L., Landry, M., Tremblay, J., Brunelle, N. et Bergeron, J. (2016). DEP-ADO Grille de dépistage de consommation problématique d’alcool et de drogues chez les adolescents et les adolescentes. Version 3.3, juin 2016. Recherche et intervention sur les substances psychoactives – Québec (RISQ). https://oraprdnt.uqtr.uquebec.ca/pls/public/docs/GSC4242/F1775629324_DEP_ADO_fr_V3.2a_2013.pdf
Jean, A. (2012). La prévention de la toxicomanie auprès des jeunes hébergés en centre jeunesse. Revue de psychoéducation, 41(2), 137-143. https://doi.org/10.7202/1061795ar
Langelier-Cullen, E. (2018). Évaluation de l’implantation et des effets perçus du pilote du Groupe de réflexion sur les drogues (2e génération). [Mémoire, Faculté des arts et des sciences, Université de Montréal] https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/handle/1866/20708 Laventure, M. (2022). Évaluation de l’implantation et évolution des participants au programme groupe de réflexion sur les drogues en milieu scolaire. Présentation à Boscoville le 22 avril
2022.
Laventure, M., Boisvert, K. et Besnard, T. (2010). Programmes de prévention universelle et ciblée de la toxicomanie à l’adolescence : recension des facteurs prédictifs de l’efficacité. Drogues, santé et société, 9(1), 121-164. https://doi.org/10.7202/044871ar
Laventure, M., Lemieux, M. et Milord-Nadon, A. (soumis). Le Groupe de réflexion sur les drogues : Évolution des participants au programme en milieu scolaire. Drogues, santé et société.
United Nations Office on Drugs and Crime. (2015). World drug report 2015. United Nations
Traoré, I., Simard, M., Camirand, H., Conus, F. et Contreras, G. (2021). Enquête québécoise sur le tabac, l’alcool, la drogue et le jeu chez les élèves du secondaire 2019. Principaux résultats de l’enquête et évolution des phénomènes. Institut de la statistique du Québec. https://statistique.quebec.ca/fr/fichier/enquete-quebecoise-tabac-alcool-drogue-jeu-eleves-secondaire-2019.pdf